Ba Mamadou M'Baré quittera prochainement ses fonctions comme il y était entré : fort discrètement, pour ne pas dire dans l'indifférence générale. A tort. Car cet homme politique mauritanien restera dans les livres comme le premier président négro-africain de la Mauritanie, un pays dominé par une élite politico-économique arabo-berbère.
Ba Mamadou M'Baré, sexagénaire d'un naturel calme et mesuré, n'a certes pas été servi par les circonstances de sa notable ascension. Le 15 avril, il a pris ses fonctions pour assurer l'intérim du général Mohammed Ould Abdel Aziz. Afin de pouvoir se présenter à l'élection présidentielle, le militaire putschiste démissionnait alors de la junte à la tête de laquelle il dirigeait le pays depuis son coup d'Etat du 6 août 2008. "Aziz", comme on l'appelle à Nouakchott, ayant remporté haut la main et dès le premier tour la présidentielle du 18 juillet, Ba Mamadou M'Baré rendra bientôt les clés du palais présidentiel au nouvel élu, un Maure de la tribu des Ouled Bou Sba.
A quand le prochain président négro-africain ? Sans doute pas de sitôt tant est grand le fossé qui sépare les deux communautés. Le nouveau président a promis de s'attaquer à ce dossier complexe, jonché de morts et de vies amputées. Avant son élection, encore chef de la junte, "Aziz" avait d'ailleurs commencé à traiter ce que l'on appelle pudiquement, à Nouakchott, "passif humanitaire" ou "événements de 1989" (suivis d'une période d'exception de deux ans). Derrière ces expressions désincarnées se dissimule "une politique systématique et raciste menée par le régime de Maaouiya Ould Taya (1984-2005) destinée à épurer l'armée et l'administration des Négro-Mauritaniens", rappelle Mohammed Fall Oumere, rédacteur en chef de l'hebdomadaire La Tribune.
"Noir comme un Sénégalais"
Prenant prétexte de tensions meurtrières et ethniques entre la Mauritanie et le Sénégal, en avril 1989, Ould Taya expulsa du pays, dans les mois et années qui suivirent, des dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens. Des centaines d'autres, militaires ou civils, furent sommairement exécutés. "C'était la chasse aux Noirs, menée par des nationalistes maures", résume Sy Abou Bocar, président de la Coordination des collectifs de victimes de la répression (Covire).
Abderaman A. se souvient de cette période des larmes plein les yeux, la peur dans la voix qui requiert l'anonymat. "Les militaires qui m'ont fait souffrir sont couverts par une loi d'amnistie et toujours en fonction", explique-t-il.
A l'époque, Abderaman se croyait protégé par son origine. N'était-il pas passé sans encombre au travers des pogroms d'avril 1989 ? Certes, Abderaman est noir, "comme un Sénégalais ", dit-il. Mais c'est un Haratine, un de ces descendants d'esclaves ayant assimilé la culture des anciens maîtres. Un "Maure noir" donc, comme en atteste son prénom, pas un Halpulaar, un Soninké, un Wolof ou autre Bambara formant la communauté négro-mauritanienne.
"Le 10 octobre 1990, des militaires m'ont tiré de mon lit en défonçant la porte de chez moi et m'ont emmené menotté", se souvient-il. S'en suivront "150 jours de cauchemar". Survivant aux passages à tabac, jour après jour, au siège de la "5e compagnie de police" à Nouadhibou (nord) où ce diplômé occupait un poste de cadre dans une société étrangère, il est conduit à Inal dans une prison à ciel ouvert gardée par le désert, à la frontière du Sahara occidental. "Dans la journée, les militaires faisaient une croix sur le torse de prisonniers. La nuit, ils les prenaient pour les tuer : pendus, battus à mort, traînés par des voitures ou fusillés..." "Environ 1 500 personnes sont passées par Inal quand j'y étais et seulement 95 survivants quand nous avons été relâchés." "J'étais jeune, éduqué, noir. Il fallait me bloquer. Les Maures ont réussi, j'ai tout abandonné", lâche-t-il dans un sanglot.
Personne ne sait combien la Mauritanie compte de tels cas. Des milliers sans doute. Et, à ce jour, les autorités mauritaniennes ne s'en sont guère soucié. Mais le général Aziz "a brisé un tabou, le 24 avril, en participant à une prière commémorative à la mémoire des victimes de crimes commis par l'Etat avec les moyens de l'Etat ", se félicitait, en juin, Mohamed Lemine Ould Dadde, le commissaire aux droits de l'homme. Ses détracteurs dénoncent des mesures préélectorales.
Ces derniers mois, près de 250 familles de militaires tués extrajudiciairement ont été indemnisées, mais en échange de leur renoncement à toute poursuite judiciaire. Plus de 11 000 réfugiés au Sénégal, sur les 24 000 enregistrés par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU, ont bénéficié d'aide au retour. "Mais, reconnaît Mohammed Lemine Ould Dadde, il faudra beaucoup de temps pour rétablir la confiance." En attendant, Abderaman se bat avec ses fantômes : "Je vis en hibernation depuis près de vingt ans."
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